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En hommage au Dr Pierre Amalric disparu récemment
George III, Roi de Grande-Bretagne et d'Irlande de 1760 à 1820, fut victime d'une attaque bilieuse aiguë le 11 juin 1788, une semaine après son 50e anniversaire.
A compter de cette date, il fut considéré par ses proches et par ses médecins comme un «souverain en danger»; malade, en effet, il régna pourtant sur son royaume jusqu'à son dernier souffle et ce, malgré une cécité qui devint totale aux alentours de 1812 !
Une étrange maladie que celle de George III, très délicate à étudier, qui suscita un vif intérêt et qui, selon l'ouvrage de Ray publié en 1855, «Les accès de folie de George III», donna lieu à des désordres politiques et à des discussions passionnées sur les principes mêmes de la constitution britannique.
Les auteurs anglais, Ida Macalpine et Richard Hunter réussirent, récemment, à établir avec certitude - en dépit de l'abondance et de la diversité des sources couvrant les soixante années de règne - qu'il ne s'agissait pas, en réalité, d'une maladie « mentale» au sens commun du terme, mais bien d'une affection rare, en rapport avec une maladie métabolique : la porphyrie intermittente aiguë.
Et, vue sous ce jour, la symptomatologie de la maladie de George III prend une valeur tout à fait typique d'un traité médical : parésie douloureuse des bras et des jambes, troubles visuels et autres signes d'atteinte bulbaire, douleurs radiculaires, tachycardie accentuée et accès de sueur, encéphalopathie allant de l'insomnie à l'excitation, délire...
Des auteurs qui parallèlement à cette découverte étudièrent de façon approfondie l'histoire médicale de la maison de Hanovre, et qui n'hésitent pas à affirmer que nombre de ses membres, - parmi les plus illustres - étaient atteints du même mal.
Il n'est guère de vie plus dramatique et plus mal connue que celle de George III. Ainsi pourrait-on résumer l'opinion des biographes et des historiens concernant cet héritier de la famille de Hanovre, qui régna sur la Grande-Bretagne et l'Irlande de 1760 à 1820.
La vie de George III correspond en réalité à l'histoire politique d'un royaume qui, à la date de son avènement, vivait une période de conflits intense : guerre contre la France, à laquelle le souverain chercha par tous les moyens une conclusion pacifique afin d'éviter l'alliance franco-espagnole qui s'amorçait, et guerre d'Amérique, qui le plaçait en face de décisions graves, résister ou, au contraire, promouvoir l'indépendance comme le suggérait Pitt.
Cependant, la situation redevint satisfaisante dès 1788, date du 50ème anniversaire du roi. Malgré la perte de ses colonies américaines, le pays semblait heureux ; le commerce était florissant. George III était devenu, en quelque sorte, l'arbitre de l'Europe notamment grâce à son amitié avec le roi de Prusse. Seuls des problèmes familiaux avec le Prince de Galles irritaient le roi de façon quasi permanente.
Un titre d'arbitre fort agréable à porter, bien qu'officieux, qu'il ne put en vérité apprécier tout à loisir... En effet, dès le 11 juin, soit une semaine après son anniversaire, il fut saisi par une attaque bilieuse aiguë. Sur les recommandations de Baker, son médecin, Georges III séjourna cinq semaines dans la station thermale de Cheltenham. Néanmoins, une nouvelle attaque bilieuse se déclara quelques mois plus tard, associée à des crampes au niveau des muscles des jambes. Walpone, l'un de ses proches, fit évoquer le diagnostic de goutte, une maladie ne requérant aucun médecin selon ses dires, ce dernier connaissant l'aversion du roi pour ses médecins. Un purgatif et du laudanum suffirent à calmer ses douleurs pour quelque temps.
Baker revit le roi le 22 octobre : son regard, sa voix, ses gesticulations, en un mot tout son comportement dénotait une douleur intense. Il s'en prit d'ailleurs à Baker avec violence, lequel écrivit à Pitt qu'il avait laissé le roi en état de délire. Pourtant, le lendemain, George III était calmé et n'avait plus de fièvre. Aussi se leva-t-il dès le 24 octobre, ayant pris la décision de quitter provisoirement Windsor avec sa famille. Son état resta stationnaire durant les jours qui suivirent.
En réalité, quatre grands symptômes caractérisaient sa maladie :
Cependant, George III était encore apte à assister au Conseil et, le 2 novembre, il évoqua divers problèmes militaires avec le major général.
Le 5 novembre, Baker s'entretint avec le roi après le petit déjeuner et constata qu'il avait bon appétit mais qu'il semblait quelque peu agité et en proie à de légers troubles mentaux. Signes certainement annonciateurs d'une nouvelle crise qui se déclara lors d'une visite du Prince de Galles à ses parents. A l'occasion du dîner, le roi fut, en effet, victime d'une crise de délire aiguë. Selon les paroles même de la reine, ses yeux ressemblaient à de la gelée noire mobile, les veines de son visage étaient gonflées et le ton de sa voix coléreux. Il parlait sans cesse et de la salive coulait hors de sa bouche.
Le lendemain, le Prince de Galles envoya Warren, son médecin. Le roi refusa de le voir mais Warren alla néanmoins informer le Prince que «le roi était en danger et que, s'il vivait, son esprit ne redeviendrait pas normal.»
La maladie de George III a suscité un grand intérêt et, si l'on s'en réfère à l'ouvrage de Ray publié en 1855, « Les accès de folie de George III», elle donna même lieu à certains désordres politiques et à des discussions sur les principes fondamentaux de la constitution britannique.
Néanmoins, bien qu'une étude clinique ait été réalisée récemment en Angleterre par Ida Macalpine et Richard Hunter à partir de quatre sources importantes (les 47 volumes du manuscrit de Willis, les 8 volumes des comptes rendus du Conseil, les rapports de Sir Henry Halford sur la maladie, le journal de Sir George Baker), elle reste véritablement difficile à étudier, ne serait-ce qu'en raison de l'abondance et de la diversité des sources couvrant les soixante années de règne. D'autre part, les Bulletins médicaux furent rédigés «avec respect» (pour la famille royale) et tous essayèrent d'éviter de susciter la crainte des faits médicaux qu'ils révélaient : «Sa majesté a eu une insomnie et, ce matin, elle est très indisposée», peut-on lire dans le Bulletin daté du 14 décembre 1788!
Les médecins ne divulguaient pas plus d'informations quand ils écrivaient au Premier Ministre Perceval et Lord Greenville, l'un des arbitres de la Régence, s'en plaignit en considérant que leurs rapports étaient «rédigés d'une façon tout à fait stupide».
Une autre difficulté provient du fait que toutes ces informations étaient rédigées dans le langage et avec les idées du XVIlle siècle. Il était évidemment difficile à la pathologie d'organes de progresser avec la pathologie humorale en l'absence d'une science basée sur les signes physiques. On connaissait peu les altérations des centres nerveux par blessure, infection ou crises. Le stéthoscope, le marteau à réflexes et même le thermomètre étaient inconnus. Bien qu'on examina les excrétions, aucun laboratoire n'existait encore. Enfin les médecins, dans l'obligation de respecter le protocole, ne pouvaient poser aucune question au roi s'il ne leur adressait pas la parole en premier... Ainsi, les visites se déroulaient-elles souvent dans le silence!
En 1789, après que les Comités du Parlement eurent interrogé les médecins sur la compétence de George III à diriger l'Etat, la Régence parut inévitable. Or, en février, une amélioration se produisit pour aboutir à une guérison qui, à la fin avril sembla totale. Une période de 12 ans s'écoula alors avant que ne survienne une autre crise importante.
Avec le temps et l'amélioration de la maladie, George III devint plus tranquille, jovial ou même parfois de bonne humeur. Cependant bien des historiens épiloguent encore sur ses dernières années passées au Château de Windsor : les murs et les meubles de ses appartements avaient été capitonnés, afin de lui éviter des chocs trop pénibles (sa cécité étant devenue totale aux alentours de 1812), mais une thérapeutique moyenâgeuse le tenait entravé dans des camisoles pendant des crises aiguës.
Sa dernière attaque eut lieu un mois avant sa mort; il passa 58 heures sans sommeil puis sombra dans le coma et mourut tranquillement, sans douleur.
Un destin plus triste encore que celui du roi Lear, en vient-on à penser, surtout lorsque l'on sait que George III avait vu disparaître un grand nombre de ses... quinze enfants !
En tenant compte des trois principaux symptômes, à savoir: abdominaux, polynévrite et troubles mentaux, un seul diagnostic semble pouvoir être retenu, celui de porphyrie aiguë intermittente. Et, vue sous ce jour, la symptomatologie de la maladie de George III permet de se considérer comme face à un traité médical : parésie douloureuse des bras et des jambes, troubles visuels et autres signes d'atteinte bulbaire, douleurs radiculaires, tachycardie accentuée et accès de sueur, encéphalopathie allant de l'insomnie à l'excitation, délire... Le seul fait non rapporté étant l'hypertension pour une seule raison : on ne la mesurait pas à cette époque. Cependant, les crises répétées peuvent bien avoir été des crises hypertensives.
De plus, les troubles visuels qui affligeaient le roi peuvent être en rapport avec une hémorragie rétinienne ou, plus encore, avec des troubles ischémiques artériels ou veineux.
Aujourd'hui on établirait un diagnostic en regardant uniquement la couleur des urines, très caractéristique : bleue, rouge ou pourpre. Or on trouve, dans les comptes rendus médicaux trois références à la couleur des urines : le 18 octobre, Sir G.Baker : urines bilieuses: le 6 janvier 1811, Sir H.Halford : couleur pourpre laissant un cercle bleu sur la partie supérieure du verre; le 26 août 1819, Docteur Baillie et Willis : urines de la couleur du sang.
Et toutes ces observations furent faites en période de crise, au moment où les excrétions de porphyrines et des porphyrobilines étaient importantes.
L'étude d'Ida Macalpine et de Richard Hunter, déjà cités, permet au moins d'établir avec certitude que la maladie de Georges III n'était pas mentale au sens commun du terme, mais qu'il s'agissait plutôt d'une affection rare, en rapport avec une maladie métatbolique : la porphyrie intermittente aiguë.
Les auteurs anglais, à l'origine de cette découverte, ont d'ailleurs revu, de façon systématique, l'histoire médicale de la maison de Hanovre, travail énorme s'il en est, lorsqu'on sait que Georges II eut sept frères et soeurs tout en étant père de quinze enfants.
Cette étude, d'ordre général, qui débuta par l'examen biologique de deux princesses de la famille de Hanovre, signale les crises caractéristiques dont elles furent victimes et permet d'établir avec évidence un diagnostic de porphyrie. Et, en "remontant" l'arbre généalogique, les auteurs, tout en évoquant le cas bien particulier de Georges III, passent en revue tous les membres de la maison de Hanovre susceptibles d'avoir été victimes des mêmes troubles. Ainsi Caroline Mathilde, reine du Danemark, la plus jeune soeur du roi, succomba d'une paralysie bulbaire à 24 ans, paralysie qui peut effectivement survenir lors d'une crise de porphyrie aiguë.
On retrouve en outre les mêmes symptômes, caractéristiques de la maladie, chez James IV d'Ecosse (qui devint James Ier d'Angleterre), son médecin, Turquet de Mayerne, faisant état dans une remarquable observation médicale, de la modification des urines « couleur rouge Alicante» de son patient, et d'accès douloureux accompagnés de troubles mentaux déjà observés chez sa mère Marie Stuart. La figure tragique de cette dernière prenant d'ailleurs un aspect nouveau lorsqu'on devine que les crises violentes d'hystérie dont elle était victime (crises qui guérissaient de façon inexplicable), étaient probablement, en réalité, des crises de porphyrie aiguë.
Quant aux descendants directs de Georges III, ils présentèrent tous des troubles semblant ressortir de la même pathogénie, qu'il s'agisse de Georges IV et de ses frères -Frédéric duc d'York, Auguste duc de Sussex, Edouard duc de Kent-ou de la princesse Charlotte de Galles.
Enfin nombre d'auteurs anglais considèrent également que Frédéric Le Grand, roi de Prusse, était atteint de la même maladie...un véritable fléau, en vérité, qui décima les membres des maisons de Hanovre, de Stuart et de Prusse, de génération en génération. Cependant il ne semble pas que l'affection dont fut atteint Georges V, petit fils de Georges III, fils du duc de Cumberland et dernier roi de Hanovre, soit en rapport avec la porphyrie. Certes il mourut aveugle, mais il avait perdu un oeil, durant son enfance, pour une raison inconnue, avant de perdre l'autre à la suite d'un traumatisme. Carl Ferdinand Von Graefe, père d'Albrecht von Graefe, appelé en consultation, refusa d'ailleurs d'intervenir.
La cécité, phase ultime de la porphyrie
La cécité dont fut atteint Georges III au cours des dernières années de son règne a ému bon nombre de ses contemporains qui, même s'ils ne l'appréciaient guère, firent preuve dès lors de compassion à son égard.
Certes les crimes de la Révolution française, que les Londoniens avaient en horreur, et le sort réservé à Louis XVI, rendirent un tant soit peu service au roi de la Grande-Bretagne...
Et d'ailleurs, il est curieux de constater à quel point il est facile d'établir un parallèle entre le destin de ces deux monarques. Tous deux vécurent à la même période, et furent confrontés à des problèmes dramatiques ; ils possédaient, tant sur le plan physique que moral, une certaine ressemblance et eurent, en outre, des problèmes visuels (Louis XVI était extrêmement myope mais ne portait jamais de lunettes comme c'était la règle à l'époque). Cependant Georges III, pourtant plus âgé que Louis XVI (de 16 ans son aîné), vécut beaucoup plus longtemps que le roi de France. "A quelque chose malheur est bon" serait-on tenté de dire !... A condition d'oublier quelque peu les souffrances qu'eut à endurer l'héritier de la famille de Hanovre, notamment durant les dix dernières années de vie.
On sait, en effet, avec certitude, qu'il éprouva des pertes de vision passagères dès les premières atteintes de la maladie bien que, par la suite, des rémissions passagères lui permirent de recouvrer une certaine vision. Georges III fut, bien entendu, examiné par de nombreux ophtalmologistes, dont le célébre (et discutable car souvent considéré comme un charlatan) Chevalier Taylor, qui figure en bonne place dans l'histoire de la spécialité. Cependant, au cours de l'ultime phase de la maladie, Pitt recommanda à la famille royale de faire appel à de Wenzel Père, chirurgien allemand considéré, à l'époque, comme l'un des meilleurs opérateurs d'Europe.
Or, après examen, celui-ci récusa toute intervention. Un refus d'opérer certainement lié au fait qu'à cette date l'oeil du roi devait présenter, en plus de la cataracte, des lésions associées, rendant hasardeuse toute intervention. De Wenzel ayant déjà procédé à plusieurs cures miraculeuse en Angleterre, ce ne sont, en tout état de cause, ni la crainte d'un échec, ni la qualité du patient qui justifièrent sa décision.En effet, si la cataracte avait été la seule anomalie oculaire, il aurait très bien pu réaliser un abaissement du cristallin dans le vitré, sans avoir à craindre de graves complications opératoires.
En réalité, l'histoire clinique de la maladie évoque parfaitement l'existence de symptômes propres au mal que nous avons décrit sous le terme de porphyrie intermittente aiguë, diagnostic confirmé par les observations de Barnes et Boshoff révélant la fréquence de lésions rétiniennes de type hémorragique, d'exsudats et d'oblitérations capillaire chez les patients atteints de porphyrie, ainsi que de lésions externes de l'oeil (sous forme de kérato-conjonctivite), accompagnées d'une néovascularisation envahissante ou d'une kératopathie bulleuse survenant en période de crise.
De plus, nous savons que Georges III, comme certains de ses fils était très sensible aux rayons du soleil, et qu'en conséquence, il se protégeait en portant des chapeaux à visière et des habits aux manches très longues.Or il est admis qu'en cas de porphyrie, des cloques dermiques très douloureuses peuvent survenir à la moindre exposition solaire. C'est d'ailleurs ce que signale à son entourage le duc de Kent, atteint lui aussi de porphyrie, au cours d'une exposition au soleil de Gibraltar.
En résumé il est fort problable que Georges III devint aveugle, non pas à cause de la cataracte, mais plutôt en raison de l'existence de troubles circulatoires choriorétiniens évoluant par poussées et ayant entraîné des altérations vasculaires définitives.
Cette maladie est due à un défaut enzymatique dans la production des protéines contenues dans le sang (hémoglobine) et dans les tissus (myoglobines). Divers facteurs environnementaux déclenchent parfois les crises de porphyrie aiguë (soleil, alcool, jeûne...). La couleur des urines est typique, "porto", après exposition à la lumière.
Urines de malade avant et après exposition à la lumière
Collection Pr.D.Storck CHU Strasbourg
Le dosage des porphyrines urinaires fait le diagnostic.
Des mesures hygiéno-diététiques permettent d'éviter les crises aiguës (apport important de glucides).
Les signes rencontrés sont lors de la crise :
en dehors de la crise :