Le site des ophtalmologistes de France
Nous remercions pour leurs autorisations, le docteur Francis John Barrie et le professeur André Mathis (CHU Toulouse-Rangueil France)
Origines
On ne connait pas avec exactitude la date de naissance de celui qui plus tard devait prendre le nom de Petrus Hispanus, et plus tard encore être élu pape sous le nom de Jean XXI. Les dates les plus précises sont données par Davidson op. cit. qui le fait naître en 1213 et par Hirsch dans sa monumentale encyclopédie (op. cit.), qui cite l'année 1226. Tout le monde s'accorde, cependant, pour situer l lieu de naissance à Lisbonne, au Portugal.
Il fut baptisé sous le nom de Pedro Juliao Rebello (en latin Petrus Juliani) du nom de son père. On a supposé qu'il était de famille noble, car Cardoso, dans son hagiologie (tome III p.322) le rattache aux Rebolo ou Rabello. Notons au passage que l'orthographe était sujette à des variations à cette époque, affaire de goût plutôt que de convention stricte). Petella, de son côté, fait remarquer que "la plupart des écrivains disent qu'il sortait d'une famille obscure", et si Gérard Morandière mentionne l'hypothèse d'une ascendance noble, les Rebolo étant issus de la famille des Medicis, il ajoute qu'à son avis "il s'agit sûrement d'une mauvaise interprétation du terme medici (médecin) qui était apposé à son nom" - Son père avait peut-être été médecin, Berger et Petella, ainsi que Hirsch, l'affirment en tout cas, mais sans citer leurs sources.
Etudes
Le Jeune Pedro fit ses premières études à l'école qui dépendait de la cathédrale de Lisbonne, tout enseignement étant alors l'apanage de l'Eglise. Le fait qu'il ait pu bénéficier d'un tel enseignement démontre, cependant, qu'il était issu d'une famille de situation aisée, même si aucun sang noble ne coulait dans ses veines.
Pour parfaire son éducation et devenir un des nombreux étudiants de cette époque, il dut cependant quitter sa ville natale, car celleci ne possédait pas encore d'université. Le jeune Pedro opta pour Paris, université renommée entre toutes pour la théologie, car il était dit que le fils de Juliao serait homme d'Eglise.
Paris
Dans sa nouvelle ville, Petrus aura comme condisciple un certain Roger Bacon qui marquera la philosophie et la science de son temps, et comme professeur Albertus Magnus, qui lui enseigna la physique et la métaphysique d'Aristote, d'après le chercheur américain Joseph P. Nullally dans son ouvrage de 1945: The Summulae Logicales of Peter of Spain". Selon M.Ghibellini (op. cit.) il aurait eu Giovanni da Parma comme professeur de théologie et William of Shyreswood comme professeur de logique.
Il est possible qu'il ait suivi les cours de médecine que dispensait la Faculté, mais il subsiste là-dessus un certain doute. Par contre, son séjour à Montpellier est bien attesté et constitue un hommage à la renommée de cette université, la plus célèbre d'Europe, avec Salerne en Italie, pour son enseignement de la médecine.
Nous savons, cependant, que Petrus avait suivi à Paris des cours 'in diversis scientiis', d'après sa lettre adressée à l'évêque de Paris le 28 avril 1277 concernant la condamnation de certaines phrases hérétiques, lettre contenue dans la collection Berardi di Napoli (Cod. lat Vat 3977, folio 177).
Nous ne saurons jamais si le jeune Pedro a soufiert du mal de pays. Mais l'intérêt qu'il portait aux choses de l'esprit était sans doute tel et sa situation matérielle si peu exceptionnelle à cette époque qu'il est loisible d'espérer qu'il n'en souffrait pas plus qu'il ne pouvait raisonnablement supporter.
De ses années d'étude il est certain qu'il gardait un vif intérêt pour tout ce qui touchait à la langue arabe en tant que véhicule de la culture internationale. Devenu le Pape Jean XXI, il envoya une bulle (Viterbi XVI Kalendas Novembris anno prime, Johan XXI. Reg. N°38 folio 15, N°53) à "nobili viro Jacobo nato clare memorie regis Aragonum" pour recommander la fondation d'un séminaire pour l'enseignement de la langue arabe "in loco qui dicitur Doya in parrochia S Bartholomei Vallis de Mossa" sur l'Ile de Majorque. (au lieu appelé Doya dans la paroisse de Saint Bartholomé dans la vallée de Mossa)
Homme chaleureux et fidèle, Petrus était capable de garder le contact très longtemps avec certains de ses amis parisiens. Un exemple. Un de ses professeurs de théologie fut, d'après Mullally et Norandière, Jean de Parme, qui enseignait également peut-être la médecine. Ce Jean de Parme de l'ordre des Frères Mineurs, devint Général de son ordre en 1247 et entretenait encore des relations épistolaires avec Petrus quand celui-ci fut nommé pape. Fidélité donc partagée, et qui fait honneur aux deux hommes.
C'est à Paris, d'ailleurs, que Petrus aurait acquis le surnom de Petrus Hispanus, selon Stapper dans son Papst Johannes (Kirchengeschichtliche Studien, 1898, p.6). En effet, comme le fait remarquer Witold Orlowski dans sa monographie de 1985 Okulista Piotr z Portugali papiezem Janem XXI, tous les royaumes indépendants de la péninsule ibérique s'appelaient Las Hispanas à cette époque. De son côté, Berger(op. cit.) donne une liste impressionnante des différents noms sous lesquels fut connu Petrus:
Joannes Petrus Juliani Ulyssiponnensis
Petrus Hispanus dicut Petrus Juliani
Petrus Julianus patria Lusitanus
Petrus physicus
Magister Petrus physicus
Dom Pedro Juliano
Mestre Pedro fisico
Veneravel Mestre Pedro Juliana,
Pierre d'Espagne
Pierre de Portugal etc.
Cette longue liste n'est pas exhaustive, car nous avons trouve encore d'autres variations sur le thème de Pedro Juliao Rebella dans le catalogue de la British Library de Londres.
Carrière
On ignore la date à laquelle il quitta Paris, mais on trouve trace de sa présence à Sienne dès le 11 janvier 1245. Un document dont fait état M.-H. Laurent dans son article Il soggiorno di Pietro Ispano a Siena mentionne que le 11 janvier 1244 selon le calendrier de Sienne (c'est-à-dire 1245 selon le calendrier moderne) Pierre dEspagne prêta serment devant quatre témoins à Sienne (Archives dEtat, inventaire d'A. Lisoni, article paru dans Bollettino senese di storia patria, nuovo serie, IX (XLV), 1938 p.43).
Un an plus tard il enseignait la médecine à l'université de Sienne, à en croire Zdekauer (Sulle origini dello Studio senese, Siena, 1893) qui mentionne les lettres circulaires que fit paraitre la ville de Sienne en 1246 et 1248 pour annoncer des cours qui devaient avoir lieu à l'université, et qui citent le nom de Petrus Hispanus en qualité de Professeur de Médecine. Ghibellini (op, cit.) cite Barduzzi: "Gia prima del 3 febbraio 1247, trovavasi in Siena ed abitava in Villegiatta, uno del quartieri poveri della città, come risulta da una pergamena repertita nel convento di Lecceto ed attualmente custodita nell'archivio di Stato di Siena". (Dès le 3 février 1247 il se trouvait à Sienne, où il habitait Villegiatta, un des quartiers pauvres de la ville, comme nous l'apprend un parchemin retrouvé dans le couvent de Lecceto et actuellement conservé dans les archives de Sienne).
Il devait séjourner à Sienne jusqu'en mai 1250 au moins, selon R. Stapper (op-cit.) qui fait référence aux statuts de la ville en 1250, où sont prévus les salaires d'un certain nombre de Juristes et d'un médecin Petrus Hispanus. Cette même année il est question d'un rapport établi par Petrus et un confrère à l'intention de la ville de Sienne sur les maladies contagieuses.
Là aussi il écrivit un court manuel de diététique pour blessés, selon Sudhoff dans son Beitrag zur Geschichte der Chirurgie, pp. 395-398. Hirsch (op. cit.) mentionne également sa présence dans une léproserie de cette ville, et ce fut vraisemblablement à cette époque-là que Petrus composa son oeuvre capitale: Summulae Logicales ( résumé de logique) dont on dénombre 48 impressions au cours du siècle suivant et qui fut sans doute l'oeuvre qui contribua le plus à sa célébrité.
De 1250 à 1261 on ne sait avec précision où se trouvait Petrus. Il se peut qu'il ait repris des études à Salerne, car, tout magister qu'il fût, il ne cessa jamais d'être étudiant toute sa vie. On peut penser à Salerne, dont l'Université, la plus ancienne d'Europe, était aussi renommée pour son enseignement de la médecine que Montpellier, car le maître en médecine que cite Petrus au chapître 8 du De Oculo (meus magister tbeodorus medicus imperatoris) serait, d'après Pansier et, à sa suite, G. Morandière, un médecin de Salerne attaché à la personne de Frédéric II, Empereur d'Allemagne de 1200 à 1245 et grand protecteur de l'école de Salerne, plutôt que quelqu'un employé au service de Don Alfonso X, Roi de Castille et de Leon, comme le prétend Berger.
On le retrouve avec certitude dès 1261, devenu chanoine de Leon, dans l'entourage du Cardinal Ottobono Fieschi, qui sera plus tard le Pape Adrien V, l'accompagnant dans ses voyages et déplacements. Il devient ensuite diacre à Lisbonne, poste qu'il quittera pour remplir les fonctions d'archidiacre de Vermy dans le diocèse de Braga, au Portugal, où il est probable qu'il fait la connaissance de Teobaldo Visconti (selon Mullally op.cit). C'est ainsi que, lorsque celui-ci fut élu pape sous le nom de Grégoire X en 1270, Il fit de Petrus son médecin particulier
Homme de médecine
Ce fut pendant qu'il était au service du nouveau pape que Petrus écrivit son Thesaurus Pauperum (Trésor des Pauvres) qu'il dédia à Grégoire X. Ce recueil de conseils d'ordre médical, dont le chapître N° VIII traite de la thérapeutique oculaire et que Pansier considère comme "le plus fastidieux réceptaire du Moyen Age et un des plus renommés" avait pour but de permettre aux pauvres de se soigner eux-même, en suivant ses consignes (que des moines non médecins pouvaient leur expliquer à partir du Thesaurus). En fait, le Thesaurus de Petrus démontre le souci constant de son auteur de veiller à la bonne santé physique du public en général et pas seulement au confort de certains privilégiés. Déjà, à Sienne, il avait obéi aux mêmes impulsions en mettant au point un rapport sur les maladies infectieuses, en écrivant son manuel de diététique pour blessés et en travaillant dans une léproserie.
Il s'agit ici en quelque sorte d'une vulgarisation à des fins miséricordieuses afin de tenter de mettre en place une forme de médecine socale, ce qui fait apparaître une fois encore la grande modestie et la bonté chrétienne de Petrus. Ces traits essentiellement humains furent commentés d'ailleurs par Rayward dans son Histcire des Papes (op; cit.).
Si le Thesaurus Pauperum renferme de nombreux conseils pris dans l'oeuvre de Constantinus Africanus, de Zacharias et de Benvenuto de Jerusalem, il ne s'agit pas à proprement parler de plagiat, au sens péjoratif où nous entendons ce terme de nos jours. Avant l'avènement de l'imprimerie Il était d'usage de recopier des passages d 'oeuvres existantes afin de les préserver et les disséminer. Au Moyen Age être auteur d'un ouvrage ne signifiait nullement en être propriétaire, et Jacques Le Goff fait remarquer dans sa préface que "La compilation, aujourd'hui décriée, a été, au Moyen Age, un exercice fondamental de l'activité intellectuelle et non seulement de la diffusion mais aussi de l'invention des idées." D'autres compilations similaires datant de l'époque de Petrus sont, par exemple le Thesaurus Pauperum d'Arnauld de Villeneuve, la Rosae Medicinae de l'Anglais John of Gaddesden ou le Lilium Medicinae de l'Ecossais Gordon.
Tous sont redevables à la médecine arabe, elle- même dérivée de la médecine de la grande tradition d'Hippocrate. On trouve, d'ailleurs un certain nombre de mots arabes dans tous ces écrits et, en ce qui nous concerne particulièrement, dans la première partie de l'oeuvre oculistique de Petrus memithe, silectrum, sabeth aux chapîtres 15, 38b et 40 respectivement)
Homme d'Eglise
En 1272 Petrus devint archevêque de Braga, au Portugal, puis Cardinal archévêque de Tusculum in 1273, car, dans un texte qui porte la date du 5 juin 1273, il est fait mention de Petrus Cardinal Archévêque de Tusculum, et dans un message du 11 juin 1273 le Pape Grégoire X ordonna aux Dominicains de remettre à Petrus, Cardinal de Tusculum, nouvellement élu, la succession de l'archévêque Martinus. Ce fut à ce titre que Petrus accompagna le Pape au concile général de Lyon, où, au début de l'année 1274 il reçut la Pourpre, tout en conservant le titre de Cardinal Archévêque de Braga jusqu'au 23 mai 1275 (selon Nullally op. cit.)
Ce fut probablement vers cette époque-là que Petrus écrivit ses commentaires d'Aristote touchant à des problèmes de physiologie, et un vaste ouvrage De Anima (De l'Ame) découvert en 1927 seulement par Mgr Grabman (op. cit.) On lui attribue encore un commentaire de Denys, dont certains pensent qu'il serait plutôt d'Adam de March, maître franciscain d'Oxford.
Selon l'Encyclopédle Universalis: "A la mort de Grégoire X en janvier 1276 deux pontifes lui succédèrent en peu de temps, Innocent V (Pierre de Tarentaise) puis Adrien V. A la mort d'Adrien le 18 août 1276, et après un interrègne de 26 jours, Pierre d'Espagne fut élu Pape le 13 septembre 1276 par le conclave réuni à Viterbe, et prit le nom de Jean. Sur la foi d'une tradition reconnue ensuite erronnée, qui ajoutait entre Boniface VII (mort en 985) et l'authentique Jean XV, un second Jean XV, on est venu à changer, à partir de l'élection de Pierre d'Espagne, les numéros d'ordre des papes portant le nom de Jean. C'est ainsi que ce dernier pontife est appelé Jean XXI, alors qu'aucun Jean XX ne figure dans la liste des Papes."
Notre Petrus aura donc eu la double distinction d'être le premier et l'unique pape de nationalité portuguaise et aussi d'être celui par qui le changement de numérotation des Papes est arrivé.
Il fait partie aussi de ceux dont la date exacte de l'élection au rang pontifical pose problème. G. Norandière parle de certains "minutes d'un concile provincial de Bourges" où le Saint-Siège serait cité comme étant toujours vacant le 13 septembre, et Salimbène écrit: "In Papam electus fuit magister Petrus Hispanus et vocatus fuit Johannes XXI et electio sua fuit facta a cardinalibus die 17 septembris."
Le nouveau Pape décida d'habiter la ville de Viterbe, située au nord de Rome, ville qui, d'après le Guide Michelin (!) "garde un aspect médiéval, entourée de son enceinte ... Située à l'emplacement de l'acropole étrusque, elle nous transporte en plein Moyen Age avec son Palais des Papes, sa cathédrale édifiée en 1192, nantie ensuite d'un beau campanille gothique, ses maisons anciennes sur soubassement massif d'appareil étrusque." Quant au Palais des Papes lui-mème: "... C'est un des plus intéressants exemples d'architecture civile gothique dans le Latium. Le palais du XIIIème siècle est percé de fenêtres géminées et couronnées de créneaux; un escalier extérieur donne accès à la grande salle où furent élus plusieurs papes."
L'Encyclopédie Universalis nous informe que: "Son règne en tant que Pape fut trop bref pour contenir des événements marquants. Les deux taches principales de son pontificat, l'organisation d'une croisade et surtout la réintégration de l'Eglise orientale dans le sein de l'Eglise Mère de Rome restèrent inachevées à sa mort. Sur le plan théologique il est connu pour avoir, au plus fort de la controverse antiaverroïste, incité à intervenir l'Evêque de Paris, Etienne Tempier, qui condamna, par le fameux décret du 7 mars 1277, 219 propositions de certains maîtres de la Faculté des Arts, dont Siger de Brabant."
En dépit de ses responsabilités de Pape, Jean XXI ne renonça jamais à la poursuite de ses études scientifiques. Afin de s'assurer la tranquillité nécessaire pour une telle tâche, il fit ajouter un appartement privé au palais papal. Or, le 14 mai 1277 le toit de cet appartement s'effondra alors qu'il s'y trouvait, le blessant grièvement. Six Jours plus tard, le 20 mai 1277, il devait mourir des suites de ses blessures. Jean XXI fut enterré dans la Cathédrale San Lorenzo, à Viterbe dans une des chapelles.
Si ce fut surtout comme logicien que Petrus influa sur la pensée médiévale et qu'il suscite l'intérêt des chercheurs encore aujourd'hui, il reste cependant vrai qu'il fut un digne représentant de la pensée et de la pratique médicale du XIIIème siècle, jouissant du profond respect non seulement de ses contemporains mais aussi de ses successeurs jusqu'au XVIIème siècle, là où Marie-José Imbaulté-Huart a placé la renaissance de l'art médical.
Recueil de Maître Pierre d'Espagne concernant les maladies des yeux et leur traitement
Extraits :
chapitre 1: dans lequel sont énumérées les maladies des yeux et leur nature
Au nom du pontife suprême et du Créateur, l'origine et première cause de toutes choses. Par sa structure et par son origine, le corps humain subit l'influence des planètes et des signes. Il est écrit que l'origine et la structure des choses dépendent d'une multitude de combinaisons très diverses, et la providence, qui exerce sans répit son influence sur l'organisme, a reproduit cette structure, cette composition et cette fonction lors de la création des différents membres du corps humain.
Parmi les membres les plus nobles se trouve l'oeil, dont la structure et la nature n'ont été percées dans leur totalité par aucun savant, car celui-ci a navigué à la surface de l'eau, sans rien pouvoir rapporter des profondeurs de l'abîme. Moi, Pierre d'Espagne, professeur dans l'art de la médecine, le plus indigne des médecins, dans ma recherche de la vérité, J'ai composé ce livre à partir de nombreux ouvrages et en me basant sur ma propre expérience. Ceci à la requête de de mon élève Fabianus de Salerne. Ce livre est signé de moi.
L'oeil est un organe rond, noble et rayonnant, composé de sept membranes et de trois humeurs, car sept est le nombre des planètes, comme des tuniques. La première tunique s'appelle retina, la seconde secundina, la troisième tertia scliros, la quatrième arenea, la cinquième uvea, la sixième cornea, et la septième conjunctiva, contenant entre elles trois humeurs: cristalinum, vitreum et albugineum.
Les yeux peuvent avoir trois colorations différentes (noire, claire, différentes nuances de vert). L'éther visuel permet une communication entre l'oeil et le monde extérieur, C'est pourquoi certains savants pensent que la vision n'est rien d'autre que l'humeur cristalline. Mais moi, pour ma part, je définis la vision comme suit: l'organe de la vision est le messager de l'âme qui sort des yeux, tel une lampe et qui permet aux sens et à l'esprit de distinguer formes et couleurs. Car le savant a dit, parlant de la noblesse de l'organe de la vision: un précieux secours sur un chemin obscur.
Les maladies des yeux sont les suivantes:
Obtalmia, tremor, durities, prurigo, petia, ungula, cancer, inflatio, aqua, ymaginatio, perforatio oculi, petrositas, viscositas, acubitus, cohoptatio, pili superflui, pediculi, ordeum, pili inversi, favus, formica, glans, casus superciliorum, auratus et grando.
Ces maladies se localisent tantôt dans les yeux, tantôt dans la conjunctiva, tantôt dans l'uvea, tantôt dans les paupières et tantôt dans l'angle des yeux ou dans les tuniques. La définition est le miroir de l'objet, et il en va de même concernant le support matériel des maladies et leur action néfaste pour la nature. Je ne puis donner de définition précise en tant que médecin, mais mon maître Theodorus, le médecin de l'empereur admet que toutes les définitions de l'art médical sont vraies, car, dès qu'une chose tombe sous le sens, elle est vraie, puisque la vérité se trouve dans cette prise de conscience même. Ensuite compte la pratique.
D'abord voyons en quoi consiste l'obtalmia. il s'agit d'un apostème chaud qui nait dans la conjonctive. il peut prendre trois formes. On l'appelle obtalmia de ob, qui veut dire "contre" et talmon qui signifie "oeil", donc quelque chose qui est contre (c'est-à-dire néfaste pour l'oeil). Une première forme nait d'une cause primaire, telle que le soleil, la fumée ou la poussière. Une deuxième forme provient d'une fièvre persistante, lorsque, par exemple, on boit du vin fort dans cet état. La troisième naît de la dissolution des humeurs qui descendent de la tête vers les yeux.
L'auratus est un corps jaunâtre,gras et visqueux qui naît à l'intérieur des paupières et produit une maladie grave, surtout chez les enfants.
Le grando est une humidité à l'intérieur de la paupière, qui devient dure comme pierre.
La viscositas est la conséquence d'une blessure à la paupière, et il résulte une déformation de la cornée ou de la pupille. Elle peut également provenir de blessures à l'oeil ou d'un remède inapproprié.
L'acubitus se signale par une lourdeur des paupières produite par une ventositas (une enflure). Le malade aura l'impression au réveil d'avoir du sable ou de la poussière dans l'oeil.
L'ordeum est un inflammation au coin de l'oeil qui prend la forme d'un grain d'orge.
Les pediculi sont de petits animaux qui se développent dans les paupières. On les trouve surtout chez des personnes qui ont un mauvais régime alimentaire ce qui provoque un afflux d'humeurs dans le corps.
L'ozimum est une peau charnue de couleur rouge qui se dirige vers la pupille et qui est provoquée par une corruption sanguine.
La formica est une enflure qui naît à l'extrémité des paupières et qui, petit à petit, en obstrue l'ouverture. Les cils poussent vers l'intérieur, provoquant un ramollissement des paupières par les humeurs chaudes. Dans l'oeil lui-même, une irritation provoque une aumentation de la sécrétion des larmes, le tout aggravé par la corruption des humeurs à cet endroit.
Le favus provient d'humeurs acides ou d'une alopétie qui provoque une enflure, un durcissement et une inflammation douloureuse des paupières
Le glans se développe dans l'oeil, comme dans les autres organes du corps. Entre le nez et le coin de l'oeil naît une fistule d'où sort du pus si on l'ouvre. Souvent le pus va vers le nez par l'orifice entre le nez et l'oeil. Quelquefois la maladie s'étend sur la paupière et attaque le cartilage. On reconnait cette maladie au fait que le pus coule chaque fois qu'on tend la peau des paupières.
Une autre maladie consiste en la croissance anormale de la chair au coin interne de l'oeil , provoquée par la confluence d'humeurs qui ne peuvent pas s'évacuer par le nez.
Une autre maladie arrive quand les nerfs optiques se trouvent entourés et comprimés par les humeurs, qui leur enlèvent toute porosité. Le malade peut avoir l'acuité visuelle diminuée ou il peut perdre la vue. Le symptôme est: la tête lourde, surtout vers le bas contre l'oeil, provoquée par l'humeur qui pénètre entre les nerfs optiques et les rend inaptes à véhiculer la lumière. Autre symptôme: au début de la maladie apparaissent devant les yeux des mèches de cheveux, des mouches, des chiffres, alors que l'oeil conserve extérieurement son aspect normal. Lorsqu'on ferme un oeil et que la pupille de l'autre ne se dilate pas, nous avons affaire à une affection grave provenant d'une obturation, car l'éther visuel ne peut pas passer d'un oeil vers l'autre afin de provoquer la dilatation de l'autre.
Une autre affection consiste en une contusion causée par un coup, une chute, une collision avec la tête ou bien d'une forte crise de vomissement. Avec cette maladie on trouve une diminution ou une perte de la vue.
Une autre maladie fait que, à la suite d'un dérangement ou d'un trouble de l'éther visuel, un homme ne voit plus la nuit, Un symptôme est qu'il ne voit plus les objets lointains, Le traumatisme qui affecte les nerfs et les muscles de l'oeil, ainsi que les dérangements fonctionnels des muscles des paupières, dépend du cerveau. Un signe de ceci est un dérangement de la mobilité des nerf s optiques. Quelquefois l'un ou l'autre des nerfs optiques se trouve affecté, provoquant un blocage dans le mouvement de l'oeil en question. Quelquefois la douleur provient du durcissement ou de l'endommagement des nerfs. Dans ce cas, le muscle concerné dégénère, ce qui provoque un affaiblissement des autres muscles qui déterminent la mobilité.
Il faudrait ici décrire les muscles des yeux. Chaque oeil possède 8 muscles qui déterminent les mouvements et 2 racines et 2 nerfs, par où passe l'éther qui fait mouvoir l'oeil vers le haut ou vers le bas. Si les muscles du haut se détendent, l'oeil tire vers le bas. Si les muscles du bas se détendent, l'oeil est tiré vers le haut. Lorsque les muscles sont ou bien contractés ou bien détendus, on ressent des douleurs aux yeux.
Trois muscles, qui sont situés au début du nerf par où sort l'éther visible, sont conçus de façon à protéger le nerf contre un mouvement trop important ou à le renforcer lors d'un mouvement vers le haut ou vers le bas. Lorsque ces muscles se contractent, l'oeil n'est pas affecté. Au contraire, lorsqu'ils se détendent, l'oeil sort de son orbite.
Cette maladie peut avoir des causes internes, lorsque le support matériel descend vers les nerfs. Au contraire, elle peut provenir de causes extérieures, comme, par exemple, d'une chute, d'un coup etc. Si l'oeil sort de son orbite, entravant par là la vision, ceci signifie que le nerf optique est seulement allongé par le muscle qui l'entoure et le comprime. Si, par contre, la vision disparait, ceci signifie que le nerf optique est endommagé, Lorsque, à la suite d'un coup à l'oeil, au d'une accumulation d'humeur, l'oeil est forcé hors de son orbité sans que la vision en soit affectee, nous déduisons que seul le muscle est endommagé.
Si, au contraire, il y a affaiblissement de la vision, on peut conclure à un endommagement du nerf optique.
Les muscles qui commandent les mouvements des paupières sont, comme nous l'avons déjà fait remarquer, au nombre de 3, dont un commande les mouvements vers le haut et les deux autres les mouvements vers le bas. Lorsque le muscle élévateur de la paupière se détend, la paupière ne peut être soulevée vers le haut. Lorsqu'il se contracte on ne peut fermer les paupières. mais lorsque les deux muscles qui commandent le mouvement vers le bas se détendent, la paupière ne peut être soulevée que de moitié. Si un seul de ces muscles se détend, il s'ensuit un mouvement de la paupière qui reste mi-ouverte vers le muscle sain. Lors de la contraction, au contraire, la paupière tire dans le sens du muscle affecté.
De plus, l'affection des vaisseaux sanguins à l'extérieur de la tête devient perceptible à l'extension des veines au front et aux tempes, et l'affection des veines intercraniennes se perçoit aux accès d'éternuements et à l'écoulement des humeurs par le nez et les yeux. Lorsque les veines du front et des tempes sont affectées, on ne perçoit plus l'extension de la maladie.
Ainsi prend fin l'énumération des maladies des yeux.
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Conclusion
Le XIIIème siècle nous apparait comme une période d'étude et de dissémination de la médecine gréco-romaine à travers la culture arabe. Mais l'omniprésence de la foi chrétienne et le rôle prépondérant des hommes d'église dans l'exercice de la médecine et de la chirurgie firent que les sciences se trouvèrent intégrées dans un mode de pensée dominé par cette foi. C'est ainsi que Marie-José Imbault-Huart a pu écrire "Si la maladie est un signe de Dieu, elle n'en est pas moins un mal et, comme le péché, maladie de l'âme, elle doit être activement combattue".
En dépit de cette emprise de L'Eglise sur les sciences il n'en est pas moins vrai que la Moyen-Age a donné naissance à bien des innovations, principalement dans le domaine de la chirurgie, pourtant ravalée au rang des métiers manuels et exclue de l'enseignement universitaire, L'exercice de la médecine nous apparait, dès le Moyen-Age comme un art noble. Mais paradoxalement la chirurgie, échappant aux contraintes intellectuelles et au moule de pensée de l'Université, bénéficiera d'un enseignement plus rigoureux et scientifique, expliquant ainsi les progrès apparus dans cette matière au cours du Moyen Age.
L'enseignement de la chirurgie se fera dans des écoles ou des collèges indépendants des facultés de médecine jusqu'au XVIII* siècle,Au plan ophtalmologique, si la description des globes oculaires avec leurs sept tuniques et les trois ou quatre humeurs nous parait désuète et archaïque, tout comme la théorie de la vision, à l'opposé, la présentation, la décision et la variété dans la description des symptômes donnent un ton contemporain à toutes les oeuvres de cette époque. Cette remarque est le fait de nombreux auteurs et il a été possible d'attribuer aux symptômes décrits à l'époque des pathologies actuelles.
Cette précision dans la description des maladies se retrouve dans l'étude de la cataracte faite par Guy de Chauliac. Il en décrit six à dix types selon les auteurs qu'il cite, chaque espèce ayant une signification particulière et un pronostic thérapeutique différent. En effet, en dehors de la partie médicale des traitements oculaires, dont le caractère magique et mystique a suscité les critiques de certains auteurs contemporains, la description chirurgicale n'est pas sans rappeler certaines techniques actuelles, en tenant compte des moyens limités de 1'époque.
Ainsi on ne peut être indifférent à la description des principes de base de tout acte chirurgical en ophtalmologie dictés par Guy de Chauliac dans sa Grande Chirurgie (6ème traité, 2ème partie, p462 jDar exemple ou par Albucassis, ni d'ailleurs à la description des temps opératoires concernant:
les plaies de paupières et de la face
les entropions et les ectropions
les pterygions et panguecula
les plaies de cornée.
Une place à part doit être faite à la chirurgie de la cataracte, Celle-ci se faisait par abaissement. La description faite par les différents auteurs est remarquable, aussi bien au plan du déroulement de l'intervention que dans ses indications faisant appel à une sémiologie précise, remarquables dans les limites des moyers de l'époque.
De plus, cette étude nous a permis de constater qu'un renouveau d'intérêt se manifeste pour Petrus Hispanus, comme en témoignent les publications du XXème siècle. On peut noter aussi que les travaux sur Petrus sont poursuivis par des chercheurs dans des pays aussi éloignés que les Etats-Unis et la Pologne, avec Mullally (1945) et Orlowski (1985).
En Petrus Hispanus nous avons trouvé un témoin et un digne représentant d'une époque où les savants ignoraient les frontières, géographiques comme intellectuelles. Les insuffisances mêmes de Petrus nous touchent, car elles témoignent des immenses barrières qui s'opposèrent jadis et s'opposent encore à notre compréhension des phénomènes physiologiques.
En Petrus aussi, nous avons cru déceler, en dépit de la pénurie de la documentation le concernant, un homme qui non seulement s'intéressait à tous les domaines de la pensée mais qui garde l'empreinte d'un homme parmi les hommes, d'un médecin mû par le désir d'aider ses semblables, d'un prêtre qui savait oublier un instant les sermons et les prières pour observer et agir dans les limites des humbles moyens dont il disposait.
Petrus Hispanus, enfin, aurait pu faire sienne la célèbre phrase de Terence:
Homo sum; humani nil a me alienum puto
Homme je suis et rien d'humain ne m'est indifférent
Bibliographie
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